Tout « Big quit », « quiet quitting », « quiet firing » sont des expressions qui nous viennent tout droit des Etats-Unis. Elles désignent des problèmes qui semblent prendre de l’ampleur dans le domaine RH. Nées pendant et après la crise du coronavirus, ces tendances américaines révèlent un profond malaise dans l’administration contemporaine des ressources humaines. À bien y regarder, elles puisent leurs sources dans les mêmes causes, engendrent un cercle vicieux – mais se manifestent de diverses manières. Qu’en est-il de la pertinence de la grande démission, de la démission silencieuse et du licenciement silencieux en France ? Doivent-ils interpeller les RH français ? Nous décryptons pour vous ces problèmes et proposons des solutions.
Avant d’aborder la question des causes et des solutions à ces problèmes RH actuels, il faut d’abord bien cerner les concepts de grande démission, de démission silencieuse et de licenciement silencieux. Que sont-ils ? Comment se manifestent-ils ? Y a-t-il des statistiques officielles à leur sujet ?
La grande démission est-elle une réalité en France ?
La réponse est double. D’une part, la réalité d’une hausse des démissions pendant et après la crise de coronavirus en France est indéniable. Les études DARES en 2022 font état de 520.000 démissions par trimestre (soit 2, 1 % de démissions). D’autre part, le phénomène n’a pas engendré le même niveau d’inquiétude qu’aux Etats-Unis. En effet, ce taux de démission n’est pas le taux le plus élevé déjà connu par la France. En 2001, les chiffres étaient plus élevés, avec un taux qui atteignait les 2, 3 %. Le terme « big quit » n’a donc pas été consacré – mais la difficulté de rétention des talents reste une préoccupation majeure, dans un contexte de guerre de talents avéré.
La pratique existe depuis longtemps. Il s’agit d’ailleurs d’un des maux récurrents, qui rongent la performance en entreprise. Toutefois, le « quiet quitting » est devenu viral depuis une vidéo Tik Tok du coach de carrière américain Bryan Creely, qui a attiré l’attention sur ce phénomène. Pratiquement, aux Etats-Unis, 50 % des travailleurs américains sont en mode quiet quitting, avec 6 % de personnes vraiment dévouées à leur travail et 25 % de totalement désengagées (Etudes du cabinet Gallup). Le phénomène est d’ailleurs plus important auprès de la génération Z. Leurs attentes dépassent les simples exigences contractuelles (CDI ou CDD). Ils ont des besoins plus vastes, comme l’équilibre de la vie privée et professionnelle, le bien-être au travail, le développement personnel par le travail.
En France, encore une fois, la démission silencieuse n’a pas la même proportion qu’aux Etats-Unis. Toutefois, d’après l’enquête IFop pour les Makers, le phénomène mérite l’attention, car 37 % des salariés sont actuellement des démissionnaires silencieux au sens strict. Son ampleur tend à grandir et appelle à des actions concrètes.
A cause du coronavirus et des dispositifs de protection du salarié, le licenciement silencieux a été remis au goût du jour. Les entreprises veulent réduire les coûts. Elles ne veulent garder que les salariés qui ont vraiment de la qualité, sans avoir à licencier.
A l’instar du Dr. Nadia Droz, psychologue, les experts parlent également de « harcèlement moral » ou de management toxique dans le quiet firing. Il est une réalité, aussi bien en France, qu’aux Etats-Unis, bien qu’aucun chiffre ne vienne l’étayer – la responsabilité des entreprises pouvant être encourue, justement pour harcèlement moral ou pour responsabilité des employeurs du fait de la santé morale du salarié.
Pourquoi ces trois phénomènes ont pris une ampleur considérable ces dernières années ? D’après les études réalisées par les experts, les causes sont à peu près les mêmes. Ces trois problèmes tiennent une grande partie de leur source, d’un mauvais management des ressources humaines en temps de croissance et en temps de crise.
Tout d’abord, il faut comprendre le contexte socio-économique autour de la période du coronavirus. En 2019, les Etats-Unis ou la France affichaient un excellent taux de croissance économique. Dans cette situation, les offres d’emploi étaient supérieures à la demande et cela engendrait une véritable guerre de talents, une forte concurrence entre employeurs pour recruter. Recruter devenait difficile. La situation est restée la même durant le covid. Malgré le ralentissement économique, la crise sanitaire maintenait la difficulté de recrutement. Après la crise, le contexte de relance économique remettait la concurrence pour le recrutement au goût du jour.
Les employés peuvent, dès lors, toujours chercher mieux ailleurs, se sachant en position de domination. Cela engendre la grande démission. Cette même difficulté de recruter, force les entreprises à ne pas licencier directement les travailleurs qu’elle a sous la main, quand bien même ceux-ci ne seraient pas aussi performants que voulu. Une situation de licenciement silencieux est davantage profitable, l’entreprise ne s’engageant pas vis-à-vis du salarié, en attendant de recruter mieux. En même temps, cela pousse le salarié à faire une démission silencieuse, le travail ne valant pas la peine de se donner plus que nécessaire. Dans beaucoup de cas, le cercle vicieux quiet quitting et quiet firing est inextricable, il est difficile de savoir qui est venu en premier.
La croissance ou la relance économique renforce la pression au travail, faisant ainsi s’accumuler le stress et le surmenage. Cette dernière était considérablement accrue durant le contexte du covid. Cependant, cette même période de coronavirus a ouvert d’autres possibilités, comme celle du télétravail, la possibilité et la nécessité d’équilibrer vie privée et vie professionnelle, la pertinence de la flexibilité sur tous les plans.
Dans ce contexte, le quiet quitting était un mécanisme de défense de certains salariés, pour éviter le burn-out. D’autres ont préféré démissionner, engendrant le big quit. Pour éviter la rigueur de la loi du licenciement, surtout en France et pour ne pas avoir à mener des conversations difficiles de licenciement en période de crise, beaucoup d’employeurs ont préféré faire du quiet firing. Ce dernier est aussi considéré par certains employeurs comme un compromis pour protéger son image d’entreprise qui « ne licencie pas ».
La troisième cause des phénomènes de grande démission et de démission silencieuse est l’absence de reconnaissance dans le travail. Les employeurs évitent de récompenser l’effort, par économie de coût (pendant la crise ou pour la relance) ou tout simplement, parce qu’ils sont eux-mêmes dépassés dans le management de toute la conjoncture. De fil en aiguille, les salariés sont démotivés et n’éprouvent plus de satisfaction au travail. Il n’y a plus d’intérêts ou de promotion à défendre dans un contexte d’avancement professionnel limité ou peu attractif et de conditions de travail défavorables. Finalement, la seule chose à défendre est le fait d’avoir tout simplement un travail, en travaillant dans le mode « démission silencieuse » ou en démissionnant pour aller trouver un travail ailleurs.
Le télétravail, l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, le besoin de flexibilité dans la façon de travailler, sont autant de besoins du travailleur actuel. Ainsi, lorsque l’employeur ne priorise pas ces concepts liés au bien-être au travail, la démission silencieuse commence. A fortiori, la grande démission est à craindre, en particulier auprès des salariés de la génération Y et Z. Ce bien-être est, en effet, devenu une condition sine qua non du travail qu’ils effectuent. A l’opposé, les employeurs qui ne veulent pas faire acte de licenciement formel, privent justement les salariés visés de cette flexibilité pour les pousser à démissionner.
Grande démission, démission silencieuse ou licenciement silencieux sont tous des problèmes de gestion des ressources humaines, auxquels tout RH compétent doit faire face. En effet, chacun d’entre eux entraîne une baisse de productivité de l’entreprise et une baisse de la performance de chaque travailleur.
D’autre part, cela affecte négativement l’image de marque employeur. L’entreprise qui subit une grande démission ne peut être perçue comme digne de confiance. Celle qui souffre de démission silencieuse de la part d’un certain nombre de salariés, ne sera jamais plébiscitée par ces derniers. Le contraire risque même de se produire. Celui qui pratique le licenciement silencieux n’aura peut-être pas à gérer une conversation difficile avec le personnel licencié, mais créera à la place un environnement négatif – voire vengeresse. En quittant l’entreprise, le salarié désenchanté des promesses de l’entreprise parlera d’elle très négativement. Il sera alors encore plus difficile de recruter, encore moins de motiver ou de fidéliser les employés.
Enfin, chacune de ses situations peut entraîner l’autre, créant un cercle vicieux totalement improductif et destructeur pour l’entreprise. La confiance au sein des équipes ne pourra plus s’établir. L’insatisfaction peut même se faire ressentir auprès des clients.
Tout cela appelle des solutions concrètes qui doivent venir des entreprises. Elles subiront davantage le revers de chacun de ses problèmes. La responsabilité et l’intérêt d’éviter le big quit, le quiet quitting et le quiet firing est, en premier lieu, la leur.
Premièrement, l’entreprise doit admettre ses torts. Il faut reconnaître le fait de faire du licenciement silencieux et d’être à l’origine de la démission silencieuse et des cas de démissions de masse. Pour ce faire, mettre en place des plateformes d’écoute anonymes des doléances des salariés, est efficace. Cela permet de se rendre compte et d’évaluer la situation. Ceci d’autant plus qu’une enquête de LiveCareer montre une inadéquation entre ceux qui se prétendent démissionnaires silencieux, mais qui en fait, travaillent plus dans la réalité, sans en éprouver de la satisfaction.
D’où viennent les démissions, qu’elles soient formelles ou non ? Pourquoi les managers font-ils du licenciement silencieux ? Décortiquer l’origine du problème permettra de donner des solutions efficaces. En effet, dans la réalité, beaucoup d’entreprises ne créent pas des conditions défavorables volontairement. Peut-être s’agit-il de l’attitude d’un ou de plusieurs managers ? Il se peut aussi que la situation soit due à l’absence de perspectives tangibles vis-à-vis de l’entreprise pour les salariés. En fait, chaque salarié et manager peut avoir différentes raisons d’agir. Il faut trouver la cause la plus récurrente et commencer à appliquer le changement à partir de là.
Les excuses ou un geste de reconnaissance ne suffisent pas, si c’est pour remettre le salarié dans les mêmes conditions de travail, par la suite. De même, sanctionner ou, au contraire, simplement alléger les conditions de travail, ne sera pas efficace. Il faut véritablement mener des réformes. Généralement, voici les principes à appliquer pour éviter le big quit, le quiet quitting ou le quiet firing.
Il s’agit de mettre le bien-être de ses employés au coeur de la stratégie RH, en adoptant une attitude positive. Récompenser, créer un environnement accueillant, collaborer sont autant d’actions concrètes à faire.
Elle découle du management bienveillant. L’entreprise doit considérer le salarié dans la totalité de sa personne, en offrant des solutions qui lui permettent d’équilibrer avec sa vie privée, en donnant un sens au travail qu’il fait, en le soutenant pour ses objectifs de développement personnel et en mettant en place des solutions pour éviter le burn-out.
La flexibilité peut réduire beaucoup de cas de démissions et de démissions silencieuses, et éviter ainsi d’avoir recours au licenciement silencieux. Il s’agit de moduler les horaires, d’offrir la possibilité du télétravail, de rester flexible sur les tâches pour mettre en avant la collaboration et le travail d’équipe.
Pour conserver et fidéliser ses employés, l’entreprise doit offrir des perspectives d’évolution. Il s’agit tant d’avoir un plan de carrière à proposer aux salariés que de proposer des formations pour un plan de développement personnel individualisé. Il s’agit aussi de proposer des évolutions de salaires et d’avantages, pour tenir compte de l’évolution de la société.